Chers Tous,
Je vous ai raconté dans l’épisode précédent, mon périple du centre-ville de Paris à l’Aéroport Charles de Gaulle le matin du samedi 8 décembre 2018. Je vous raconte à présent ce que j’ai vécu dans l’avion d’Air France me menant de Paris vers Brazzaville. Un hasard tout simplement incroyable.
En effet, à peine entré dans l’avion, je me dirige dans la classe Affaires où se trouve mon siège. J’arrive à ma place, je m’installe. Ô surprise ! Je trouve juste à côté de moi, un jeune homme dont le visage me paraît familier. Nous nous regardons. Et là, tout d’un coup, des souvenirs me reviennent en flashes à l’esprit. Je regarde les traits du visage et…l’image de feu le Président Omar Bongo s’impose. Les funérailles du Président Bongo apparaissent dans mon souvenir. En effet je me revois en compagnie de la Première Dame Simone Gbagbo, lorsque j’avais représenté le Président de la République de Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo à ce deuil. Je me souviens. C’était hier. Je revois le frêle visage de l’enfant d’alors, devenu un homme dans la force du jeune âge à présent. Mon voisin de voyage n’est personne d’autre que Omar Denis Bongo, fils du défunt Président Omar Bongo Ondimba et de sa défunte épouse Edith Bongo née Sassou Nguesso ! Il est donc aussi le petit-fils du Président Denis Sassou Nguesso. Qu’est-ce qu’il a grandi. Son visage est couvert par une barbe généreuse. Ô, l’œuvre du temps est incroyable ! Je le prends dans mes bras. Nous nous reconnaissons aussitôt. Nous nous installons et entamons aussitôt une causerie pleine d’humanité que j’aimerais, autant que faire se peut, vous rapporter, tellement elle comporte des enseignements pour nous tous !
J’ai contemplé et écouté longuement le jeune fils du Président Bongo. Il m’a vraiment séduit. Il m’a d’abord donné ses nouvelles. De brillantes études supérieures poursuivies en Angleterre et à Harvard aux USA, se couronnent actuellement à Oxford.J’ai donc éprouvé le désir, prenant à mon tour la parole, de raconter à Omar Denis Bongo, celui que fut pour moi son père, le regretté Président Omar Bongo Ondimba. Le Père Bongo m’a énormément aidé. Il fut réellement bon pour moi. Voici l’épisode historique que j’ai raconté à ce cadet. Vous méritez tous que je vous le raconte aussi car l’histoire des hommes est leur meilleure école. Quand nous faisions les négociations de Marcoussis-Kléber en 2003, au dernier jour nous nous sommes retrouvés au Centre de Conférences de Kléber, devenu maintenant l’Hôtel Péninsula à Paris. Après l’ouverture de la Conférence, les discours du Président Chirac, du Secrétaire Général de l’ONU, Koffi Annan et du Président sud-africain Thabo Mbeki, nous étions assis dans une pièce, avec le Président Laurent Gbagbo. Il s’agissait de commencer les négociations sur la formation du gouvernement et le partage du pouvoir. Sur ces entrefaites, le Ministre français des Affaires Etrangères, Dominique de Villepin arrive et s’adresse au Président Laurent Gbagbo :
Un peu surpris par l’accélération des événements, Laurent Gbagbo voulait objecter, mais De Villepin insista d’un ton ferme : – Monsieur le Président, c’est tout de suite. Je vous en prie, allons-y. Le Président Laurent Gbagbo se leva et suivit alors De Villepin. Quelque temps après, Dominique de Villepin refait son apparition dans la salle où j’attendais. – Monsieur Guillaume Soro, vous êtes attendus par le Président Chirac. Veuillez me suivre. Autant vous dire que je ne me suis pas fait prier. Je trouve dans la salle de négociations le Président Jacques Chirac. A la gauche du Président Chirac, se trouve le Secrétaire Général de l’ONU, Koffi Annan, paix à son âme. A gauche de Koffi Annan, est assis le Président Omar Bongo Ondimba, paix à son âme. Puis Dominique de Villepin et Madame Nathalie Delapalme. A droite du Président Chirac, est assis le Président Laurent Gbagbo. On m’invite à m’asseoir du côté droit du Président Chirac, donc à droite du Président Gbagbo. Nous étions au nombre de sept personnes dans la salle. Jacques Chirac s’adresse alors vigoureusement à moi : -Monsieur Soro, vous avez pris les armes contre votre pays, la Côte d’Ivoire pour renverser un gouvernement démocratiquement élu ! Vous avez levé une rébellion dans le pays. C’est inadmissible et je tiens à vous le faire savoir.
Ce ne sera pas sans conséquences ! Je fus effrayé. Je n’avais que 29 ans et je n’avais jamais été confronté à des négociations de si haut niveau. Que voulait donc me faire Jacques Chirac ? Je me sentais vraiment tendu, presque désemparé. Ces négociations, me disais-je, commençaient vraiment très mal pour moi. Tournant la tête à gauche et à droite de l’assemblée, je cherchais désespérément un regard compatissant et compréhensif, face aux salves que je subissais de la part du Président Jacques Chirac. Songeur, je croise le regard du Secrétaire Général de l’ONU, Koffi Annan. Il est impassible, inexpressif, impavide. Bien sûr, ce n’est pas dans le visage du Président Laurent Gbagbo que je pouvais trouver secours. Il était à ma gauche et attendait tranquillement de voir comment je me tirerais de la charge du Président Jacques Chirac. Avait-il lui-même subi les assauts du Président Chirac? Je ne saurais le dire! C’est donc très fébrile que je croisai le regard du Président Omar Bongo Ondimba. Il me fit alors un sourire discret et un clin d’œil astucieux et profond. Ce regard m’apparut comme une bouée de sauvetage. Quel encouragement subtil ! Pour moi, c’était comme si le Président Bongo m’avait dit :
Je pris alors la parole avec détermination et fit valoir les motivations de l’engagement historique de mon mouvement politique. Je réussis tant bien que mal à faire basculer la situation périlleuse pour obtenir les résultats que vous connaissez. Dans cet avion qui nous mène de Paris à Brazzaville au Congo, pays de son grand-père et de sa mère, j’explique à Omar Denis Bongo que je dois ce rebondissement de négociations au coup de pouce inespéré de son feu père, Omar Bongo Ondimba ! Dans la vie, il faut être humble et reconnaissant envers tous ceux qui vous ont aidé, quoique vous puissiez par ailleurs penser d’eux ! J’avais si bien négocié que nous obtenions à l’issue de cette réunion, neuf portefeuilles ministériels. Mais, je n’ai pas fini de vous conter le Président Bongo.
Après la réunion décisive de Kléber, je demandai à voir le Président Bongo pour le remercier. Mon compagnon Roger Banchi m’attendait le soir à l’hôtel Meurice où nous rencontrâmes le Président Bongo. Je lisais dans son visage la fierté et l’affection qu’il portait à ce jeune homme que j’étais. Sûrement que je lui rappelais sa propre jeunesse, quand il eut à un très jeune âge à assumer les lourdes charges de l’Etat. Me prenant dans ses bras il me dit ceci: – Ah, fiston, ça va ? En forme ? – Oui, Monsieur le Président, Oui Papa, ça va, lui répondis je. – Maintenant, quel poste vas-tu occuper au gouvernement? – Je ne veux pas rentrer au gouvernement de Gbagbo. La lutte n’est pas encore terminée. Moi je resterai à Bouaké. J’enverrai d’autres compagnons au gouvernement. Le Président Bongo répliqua alors :Quelle leçon de choses? Cette sagesse du Président Omar Bongo m’éveilla une fois de plus. Séance tenante, il prit son téléphone et appela le tout nouveau Premier Ministre Ivoirien d’alors, l’Ambassadeur Seydou Elimane Diarra : – Allo, il faut que tu donnes un poste important à mon fils Guillaume Soro dans le gouvernement. Et me voilà Ministre d’Etat Ministre de la communication! C’est le Président Omar Bongo Ondimba qui m’envoya au Gouvernement. Je l’ai dit à Omar Denis Bongo fils qui en était tout ému. Le jeune fils du Président Bongo me révèle alors : -Ah, grand frère, tu sais. Nous, on a mieux connu notre papa à travers les récits que de nombreuses personnes nous font de ses actes. Et chaque fois, j’apprends des témoins de la vie de mon père, des choses extraordinaires que je ne soupçonnais même pas ! Et moi de renchérir : – Ton père m’a aidé matériellement, financièrement, moralement, politiquement, à devenir ce que je suis. Il m’a accompagné dans les premières marches de ma vie en politique.
C’était un mentor. Il m’aimait bien et je l’aimais beaucoup. Certes, beaucoup disent qu’Omar Bongo était un dictateur, il était ceci, cela. Mais je ne suis pas manichéen. Je crois que tout être humain a des qualités et des défauts. Moi, j’ai des défauts et je pense, aussi quelques qualités. De même, le Président Bongo ne peut pas avoir été uniquement bon, ou uniquement mauvais. Ce que je tiens à dire, c’est que moi, j’ai rencontré justement les qualités du Président Bongo, ces qualités qui lui ont permis d’être l’un des plus grands financiers de la lutte révolutionnaire et armée de l’ANC du Président Nelson Mandela en Afrique du Sud contre le régime discriminatoire de l’Apartheid! Poursuivant je lui fais remarquer : -Je crois que si le Président Omar Bongo Ondimba vivait, la Côte d’Ivoire n’aurait sans doute pas connu la tragédie de la crise postélectorale 2010-2011. Le Président Bongo avait une telle influence qu’il aurait pu amener tous les acteurs de la crise ivoirienne à éviter le conflit de 2010-2011 sans inutile effusion de sang. Il aurait appelé Gbagbo, Ouattara, Bédié, moi-même, pour désamorcer cette crise. C’était un Grand Africain. L’un de ces Chefs d’Etat qui, à l’instar d’un Kadhafi, d’un Blaise Compaoré, d’un Gnassingbé Eyadéma, d’un Houphouët-Boigny ou d’un Nelson Mandela, pouvaient positivement peser sur les médiations politiques des crises africaines, avec des résultats certains. Qu’est-ce que cela nous manque aujourd’hui ! Je ressens personnellement cela. Bien des choses qui se passent actuellement en Côte d’Ivoire n’auraient pas été possibles avec un Président Bongo vivant. Il connaissait bien le dossier ivoirien.
Le jeune Omar Denis Bongo m’écoute avec intensité et attention quand j’ajoute ceci : -Vois-tu, cher Omar Denis, tu dois garder cette humilité que tu manifestes. C’est essentiel pour traverser les hauts et les bas de la vie, en faisant le moins de tort possible autour de soi-même. Regarde-toi. Tu es fils du Président défunt de la République gabonaise, tu es petit-fils du Président de la République du Congo, et tu es le petit frère de l’actuel Président de la République du Gabon, Ali Bongo Ondimba ! Tu aurais pu avoir la tête si grosse que tu regarderais presque toutes les personnes que tu rencontres avec condescendance et même arrogance. Mais non, tu restes humble. Et cela est plus précieux que tout l’or du monde ! Or, il y a des gens si narcissiques en ce monde ! A peine ils sont passés par un poste ministériel, leur tête devient si grosse qu’on ne peut plus respirer! Le manque d’humilité pollue hélas notre classe politique en Afrique. Omar Denis Bongo me fait alors remarquer que ses parents les ont envoyés en Angleterre très tôt, pour leur imposer une discipline de vie qu’il observera toujours.
Au Gabon, on les soupçonnait sans cesse d’être favorisés à l’école. Alors, un matin, son père est venu leur dire : – Vous partez en Angleterre. Omar Denis Bongo me dit que certes, son père leur a donné à chaque fois tout ce dont ils avaient besoin. Mais c’est leur mère, Edith-Lucie Bongo née Sassou, qui a veillé au grain. Par exemple, chaque fois que leur père Omar leur donnait abondamment de l’argent, leur mère mettait le grappin sur le butin pour leur imposer de le gérer méticuleusement. Elle ne leur donnait que le strict nécessaire. Elle disait à son époux : – Pourquoi tu donnes l’argent aux enfants comme ça ? Tu risques de les gâter ! Eduquée par l’ancien communiste Denis Sassou Nguesso, elle avait gardé le sens des choses simples de la vie et leur en a transmis la saveur. Edith a su transmettre ces bases spirituelles de la dignité humaine à ses enfants. Comme quoi, il ne faut pas se fier aux apparences du pouvoir ! Les valeurs essentielles de la vie sont importantes pour tous, riches ou démunis ! Humilité, reconnaissance, intelligence !
J’ai en commun l’expérience douloureuse d’être orphelin avec ce jeune frère. Denis Omar Bongo conserve partout avec lui le drapeau qui fut posé sur le cercueil de sa mère. Il a fouillé dans sa valise dans l’avion et me l’a montré avec émotion. Son père le lui avait confié à la fin du deuil officiel de sa mère :- Prends ce drapeau, cher fils. Il te permettra de te souvenir tous les jours de ta mère. Ne le quitte jamais. Quel saisissement!
Sur le coup je me mis à songer à mon propre sort. Orphelin de père et de mère depuis mes années étudiantes, il m’arrive de penser avec commotion à ma mère. Qu’est-ce que je l’aimais ma mère! Je l’aimais si fort, ma mère. Enfant je me souviens que lorsque je faisais une bêtise ma mère en me réprimandant me disait souvent « fils tu as intérêt à être responsable car le jour où je ne serais plus de ce monde tu connaîtras la méchanceté des hommes. » Alors je me mettais à pleurer je ne voulais pas que ma mère meure. Je songeais qu’il était préférable de mourir avec ma mère. Dans l’avion, je repensais à ma mère. Je me sens triste à chaque fois que je m’y replonge. Je ressens un vide dans les grands moments de ma vie. Oui quand en 2007 je fus nommé Premier Ministre, alors que tout le monde me félicitait, je songeais à ma mère : qu’est-ce qu’elle aurait été heureuse et fière de moi? J’aurais tout donné pour qu’elle soit là à mes côtés, pour voir ce que j’étais devenu ! Elle qui mourut sans un seul jour avoir « mangé » un centime de moi. Elle me manque ma mère. Elle me manquera à jamais.
Sortons de la digression. Quelles leçons retenir toutefois de cette longue et profonde conversation en avion de Paris à Brazzaville ? D’abord la reconnaissance. Cette valeur est cardinale dans la vie. Au-delà de tout ce que les gens peuvent dire, je suis reconnaissant envers le Président Bongo père comme je le suis envers le Président Blaise Compaoré. Ils ont éminemment contribué à faire de moi l’homme politique et l’adulte bien trempé que je suis devenu. Deuxièmement, le jeune Omar Denis Bongo, cet universitaire solide, manifeste une qualité que je souhaite voir cultiver dans le milieu des familles politiques. L’humilité. À mon sens la simplicité doit régner au sommet de nos républiques, car c’est elle qui maintient la confiance de nos peuples envers leurs dirigeants. La troisième chose que je voulais dire, c’est qu’on a pu critiquer à raison le paternalisme des anciens leaders d’Afrique. Mais il ne faut pas jeter le bébé et l’eau du bain. On oublie que l’Afrique a énormément bénéficié du leadership et des médiations de ces grands hommes d’Etat qui lui ont évité de nombreuses guerres, de nombreux conflits inutiles.
Sait-on seulement combien de fois un Président comme Blaise Compaoré a fait cesser des conflits à travers l’Afrique de l’Ouest ? Une certaine opinion politique et certaines puissances ont vu d’un mauvais œil ce leadership africain fort. Mais il n’en demeure pas moins vrai qu’autant nous avons aujourd’hui besoin d’institutions fortes, autant il nous faut un leadership fort pour les incarner et assurer le plein rayonnement de notre continent. Et c’est là qu’il faut prendre conscience de ces mémoires vivantes d’Afrique. Une fois de plus, par-delà les critiques légitimes ou illégitimes qu’on peut faire à leur action historique. Dans le troisième épisode de cette Chronique de voyage, je vous promets donc de vous entretenir sur quelques flashbacks de ma relation avec le Président de la République du Congo. Notre continent n’avancera qu’en se projetant vers le futur avec la pleine conscience de son passé !
A bientôt donc, très chers lectrices et lecteurs!
Mes pensées les meilleures, depuis Brazzaville au Congo !
Votre,Guillaume Kigbafori Soro