En Guinée, Sidya Touré s’explique sur les raisons de sa démission du poste de Haut représentant d’Alpha Condé.
L’opposant a rendu sa démission le 11 décembre. S’il affirme avoir pris sa décision à défaut de pouvoir faire avancer les dossiers qui lui tenaient à cœur, l’entourage présidentiel évoque plutôt un calcul politicien.
« Pendant trois ans, je me suis échiné dans des domaines importants comme l’agriculture, l’éducation, la santé, l’énergie… Rien n’a abouti. L’organisation de l’État, telle qu’elle est aujourd’hui, relève de l’informel. Il n’y a aucune structure sur laquelle s’appuyer pour bâtir un dossier solide que l’on peut amener à son terme ». Après trois années passées comme Haut représentant du chef de l’État, Sidya Touré a rendu son tablier, le mardi 11 décembre.
Sans salaire, ni budget
Dans la soirée, alors qu’une foule de militants de l’Union des forces républicaines (UFR, le parti qu’il dirige) se massait dans la cour de son domicile, dans le quartier Minière, à Dixinn, Sidya Touré affichait une attitude sereine. Enchaînant coups de téléphone aux médias et rendez-vous avec les cadres de l’UFR, il prend le temps d’expliquer une décision qui a fait l’effet d’un coup de tonnerre.
L’ancien Premier ministre affirme avoir œuvré pendant trois ans comme Haut représentant sans salaire, ni budget, pour « garder (sa) liberté de chef de parti ». Il assure notamment s’être « battu pour que les recettes minières servent à lancer des projets agricoles sérieux, comme cela a été fait dans les autres pays de la sous-région, en Côte d’Ivoire, ou au Mali, qui a fait 750 000 tonnes de coton cette année, alors qu’on en est à 2 000. Si vous ne parvenez pas à investir dans ce secteur, vous ne toucherez pas l’essentiel des Guinéens ».
Sur l’énergie, Sidya Touré déplore « des investissements de deux milliards et demi de dollars dans des barrages hydroélectriques et des centrales thermiques qui n’ont jamais fonctionné depuis huit ou neuf ans ». Il estime en outre que « lorsque l’on en aura fini, pas plus de 10 % des Guinéens auront effectivement accès à l’électricité ».
L’entourage d’Alpha Condé l’accuse de calculs politiques
Des déclarations « populistes », accuse un conseiller d’Alpha Condé, qui assure au contraire que nombre des conseils prodigués par Sidya Touré ont été pris en compte par le chef de l’État, en particulier dans le domaine agricole, dans la promotion de la culture du café et de l’anacarde notamment. Mais, « on ne peut pas développer l’agriculture avant de construire des routes pour désenclaver les zones de production », juge notre source.
SIDYA TOURÉ SE POSITIONNE EN ALTERNATIVE POUR CEUX QUI NE SE RETROUVENT NI DANS LA MOUVANCE PRÉSIDENTIELLE, NI DANS L’OPPOSITION INCARNÉE PAR CELLOU DALEIN DIALLO
Quant aux critiques sur la stratégie d’investissement dans le domaine de l’énergie, le conseiller rétorque que les autorités guinéennes ont « opté pour le long terme ». « Les régions de la Haute-Guinée et de la Guinée forestière sont dans un projet d’interconnexion sous-régional, avec la construction de deux lignes électriques à haute tension dont l’une partira de la Côte d’Ivoire pour la Guinée, en traversant le Liberia et la Sierra Leone. Et l’autre traversera le sud de la Guinée pour rejoindre le Mali », détaille le conseiller.
Pour lui, le geste de Sidya Touré est plutôt à lire comme un calcul politique dans la perspective de la présidentielle de 2020 et des législatives prévues en 2019. « Sidya Touré se positionne en alternative pour les électeurs qui ne se retrouvent ni dans la mouvance présidentielle, ni dans l’opposition incarnée par Cellou Dalein Diallo », juge cette source proche d’Alpha Condé. Le désormais ex-Haut représentant d’Alpha Condé a d’ailleurs d’ores et déjà annoncé qu’une liste de l’UFR sera présentée lors des prochaines législatives.
La conséquence de l’échec de l’alliance UFR-RPG
Dans l’entourage du président Alpha Condé, même si l’on n’exclut pas l’hypothèse d’une « posture » de la part de l’ancien Premier ministre, destinée à préparer « une nouvelle négociation avec le pouvoir », la démission de Sidya Touré est également vue comme la conséquence de l’échec de l’alliance entre le RPG Arc-en-ciel (au pouvoir) et l’Union des forces républicaines (UFR) lors des élections communales du 4 février dernier. Un autre élément qui a pesé dans la balance : les relations difficiles qu’entretenaient Sidya Touré avec le Premier ministre, Kassory Fofana, et le ministre d’État conseiller spécial d’Alpha Condé et ministre de l’Industrie et des PME, Tibou Kamara.
Sidya Touré ne nie pas l’aspect politique de sa décision. Au contraire. « Les élections communales de cette année ont achevé de me convaincre qu’il n’y avait pas de possibilité de faire quelque changement que ce soit », assène l’ancien Premier ministre. « Je ne travaille pas là-bas, je ne suis pas payé pour cela, je n’ai pas de budget… Je l’ai fait parce que je voulais bien le faire. Mais cela risquait de compromettre mon discours et de me rendre comptable des choses auxquelles je ne participe pas », insiste-t-il.
Interrogé par Jeune Afrique, le ministre d’État conseiller du président Condé, Rachid Ndiaye, estime qu’il s’agit là d’une « décision personnelle ». « Les Guinéens, ajoute-t-il, jugeront des explications avancées par l’intéressé. »
Dources jeune afrique