MESSAGE SUR L’EDUCATION AU SERVICE DU DEVELOPPEMENT HUMAIN INTEGRAL (Archevêques et Évêques de Côte d’Ivoire)

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Chers frères et sœurs,
Au cours de la 120ème Assemblée Plénière de notre Conférence tenue à Gagnoa, au Centre Emmaüs, du 24 au 30 janvier 2022, nous, vos frères Archevêques et Evêques, avons réfléchi sur le thème suivant : L’Education en Côte d’Ivoire, au Service du Développement humain intégral. A l’issue de nos travaux, en attendant de publier dans les prochains mois, une lettre pastorale sur le sujet, nous vous adressons ce message pour vous encourager et soutenir tous les efforts que vous, acteurs de l’éducation, fournissez sans relâche pour une meilleure éducation dans notre pays.
Cependant nous n’ignorons pas que la Côte d’Ivoire « a marqué une régression manifeste au regard de nos valeurs ». L’amour du pays et notre charge de pasteurs qui nous imposent le devoir de veiller à la sauvegarde et à la promotion des valeurs spirituelles et morales, nous obligent à attirer l’attention de tous sur cette situation alarmante qui, si elle n’est pas assainie, risque de revêtir le caractère d’une catastrophe. Un état des lieux nous aide à saisir en profondeur la gravité de la situation et à puiser dans nos cultures et dans notre foi, les ressources nécessaires, en vue d’engager avec diligence et vigueur des actions pertinentes à garantir un avenir meilleur à l’éducation dans notre pays, en vue de la mettre au service du développement humain intégral.
L’état des lieux
La famille est considérée par tous comme le socle et la matrice de la société humaine. C’est pourquoi elle doit être entourée du plus grand soin, si l’on veut avoir des sociétés où les valeurs humaines, morales et spirituelles sont pratiquées. Le constat qui s’impose presqu’à tous, c’est l’impuissance, voire la démission des familles qui abandonnent l’éducation des enfants entre les mains du personnel domestique.
La pratique de la politique telle qu’elle a cours dans notre pays, se laisse percevoir comme le lieu de violences verbales et physiques, le lieu des coups bas, du mensonge, de la délation, un environnement où prospèrent toutes sortes de fanatismes et d’extrémismes. Devant un spectacle si désolant, l’on est en droit de se poser la question suivante : quel modèle d’éducation les jeunes qui sont souvent instrumentalisés par la politique peuvent-ils en tirer ?
Que dire de l’école ivoirienne ? Le constat, largement partagé, est que l’école ivoirienne se porte mal et n’arrive pas à relever le défi d’un développement humain intégral et durable. L’école ivoirienne ne fait plus rêver ; le niveau des élèves et étudiants ne fait que baisser. Comment peut-il en être autrement, quand certaines écoles sont entourées de bars et de maquis distillant à plein tube et à longueur de journée, de la musique en vogue, dans un tintamarre assourdissant, pendant que les cours se déroulent à proximité ? Quelle éducation peut-on donner dans une telle ambiance où la présence de fumoirs aux alentours de certaines écoles vient compromettre gravement la formation des enfants et des jeunes aux vraies valeurs ? Que dire des grossesses en milieu scolaire, qui freinent l’évolution des jeunes filles ?
Dans le monde du travail, très souvent, les citoyens ne sont pris en considération que dans la mesure où ils sont munis d’une lettre de recommandation. Ainsi, on voit se répandre un système abusif d’interventions qui nuit au fonctionnement normal des institutions. A bien y regarder, aux yeux de nombre d’ivoiriens, l’honnêteté, l’intégrité et la justice semblent des valeurs d’un autre âge. La paresse gagne de plus en plus les jeunes aussi bien en milieu urbain que rural.
Comment, dans un tel délitement des valeurs, entretenu volontairement ou par négligence, peut-on former un homme intégral, capable de relever les défis d’un vrai développement de notre pays ? Cet état des lieux, qui est loin d’être exhaustif, ne peut laisser personne indifférent. Tous doivent se mobiliser autour de l’éducation en Côte d’Ivoire, pour lui donner toute sa substance et consistance afin qu’elle contribue efficacement au développement du pays et lui assure un avenir radieux.

La mission de l’Eglise
Mère et enseignante, l’Eglise a un devoir inné d’éduquer l’homme, tout l’homme, pour le bien de la société dans laquelle elle vit et accomplit sa mission. Elle se le rappelle dans le document du Concile Œcuménique du Vatican II sur L’Education Chrétienne : « A ses enfants, l’Eglise est donc tenue, comme Mère, d’assurer l’éducation qui inspirera toute leur vie de l’esprit du Christ, en même temps elle s’offre à travailler avec tous les hommes pour promouvoir la personne humaine dans sa perfection, ainsi que pour assurer le bien de la société terrestre et la construction d’un monde toujours plus humain » (E.C 3-4). La collaboration de l’Eglise avec tous les hommes pour promouvoir la personne humaine détermine notre implication ferme dans l’éducation. Cette implication se traduit dans les appels pressants que nous lançons, pour nous inviter tous à faire de l’éducation en Côte d’Ivoire, un moteur de la formation humaine intégrale au service d’un développement solide et harmonieux de notre pays.
Appels
Aux parents,
Chers parents, vous tenez de Dieu la mission d’éduquer vos enfants. Dans la mesure où vous, parents, vous vous appliquez à remplir votre mission de premiers éducateurs dans un climat de paix et d’affection, vos enfants grandissent d’une façon saine et demeurent marqués toute leur vie par cette bienfaisante influence. Vous n’avez pas le droit de laisser toute l’éducation de vos enfants entre les mains d’autres personnes en vous désengageant. Ce serait manquer à votre mission première à leur endroit. Cette éducation, pour connaître une réussite, appelle une communication et un dialogue permanents entre vous parents, et avec vos enfants, dans un cadre familial où règne l’amour.
Aux enseignants,
Chers enseignants, « l’école, en tant qu’espace d’instruction, d’éducation, de socialisation, se présente comme le lieu pour recevoir la formation qui libère le sujet ». A l’école, vous représentez les parents dans la tâche d’éducation de leurs enfants. Ne perdez pas de vue que vous êtes les collaborateurs officiels des parents. Nous vous demandons de vous consacrer à cette mission importante avec affection, autorité et dévouement. Vous êtes appelés à apporter à votre enseignement, le poids du témoignage de vie. Cela vous vaudra en retour le respect, l’estime et la considération des apprenants, des parents et des citoyens.

Aux responsables des groupes socio-culturels, des associations et mouvements,
Il est indispensable d’aider vos membres à cultiver les vertus et l’art de vivre en société, à cultiver le courage, l’amitié, la solidarité et l’entraide. Il est indispensable d’aider vos membres par la réflexion, par l’action et surtout par l’initiation au sens du service. Votre influence sur les membres de vos différentes associations doit les aider à se construire une personnalité solide et respectable, capable de donner une contribution valable au développement de leur pays.
Aux professionnels de la communication,
Vous ferez des médias le lieu où les enfants et les jeunes sont préparés à la complexité de la vie à l’ère numérique, et éduqués en vue d’en faire des citoyens intègres, respectueux des espaces virtuels auxquels ils sont confrontés. Vous veillerez à les former à la citoyenneté responsable et à la démocratie, à la sécurisation des données et à la protection de la vie privée. C’est pourquoi, lorsqu’une nouvelle technologie s’installe, alimentée par de nombreuses innovations techniques, il semble important d’interroger ces technologies, leurs usages, les conditions de leur fabrication, les conditions de leurs réceptions et leur place dans les représentations que nous faisons du monde.
Aux guides religieux,
Chers guides religieux, nous sommes, par vocation et par mission, constitués enseignants, maîtres et éducateurs de la foi et de la vie spirituelle et morale des membres de nos communautés. Par votre action, et surtout par vos enseignements spirituels et moraux, vous apportez une indispensable contribution à l’œuvre nationale d’éducation. Nous en appelons à une intelligente coopération avec l’Etat et à tout mettre en œuvre pour toujours garder à l’école confessionnelle, son caractère propre de modèle d’éthique et de morale. Efforçons-nous d’éduquer nos fidèles à la paix, dans le respect des consciences, pour les préserver du fanatisme et de l’extrémisme religieux, fléaux qui risquent de mettre en péril la perception de la Religion et la traditionnelle tolérance africaine. Soyons des guides éclairés de ceux qui nous sont confiés, en particulier les plus vulnérables. Que votre vie soit en cohérence avec l’éducation que nous dispensons. Ainsi, par l’exemple, nous formerons des hommes et des femmes au service des autres.
Aux Gouvernants,
En saluant les efforts déjà fournis en vue d’organiser l’éducation dans notre pays, nous vous invitons à aller toujours plus loin dans les assises des états généraux de l’Education pour la mise en place d’un système qui forme l’homme intégral, capable de maîtriser son environnement, dans un esprit de créativité. Il vous revient de repenser le modèle éducatif afin qu’il ne se réduise plus seulement à l’instruction scolaire ou académique. Pour vaincre les maux qui minent l’éducation scolaire, nous vous exhortons, chers Gouvernants, à lutter contre la tricherie, l’alcoolisme, la drogue, la violence les grossesses en milieu scolaire et à assainir l’environnement immédiat de tous les établissements scolaires.
Nous vous encourageons à mettre en place un système éducatif qui prenne davantage en compte l’éducation civique et morale. Ce système bien structuré, pourra aider à construire un nouveau type de citoyens, une jeunesse éduquée à l’effort, au travail bien fait et à l’amour du travail, qui reconnait et respecte l’autorité de l’enseignant, comme nos traditions nous l’enseignent. Vous veillerez à inculquer aux jeunes le respect du bien d’autrui et du bien commun, en donnant l’exemple de la recherche de l’intérêt de tous et en sacrifiant, s’il le faut, vos intérêts particuliers. Nous vous exhortons à tout mettre en œuvre pour préserver le milieu scolaire et universitaire de la politique politicienne qui en fait un lieu de graves affrontements préjudiciables à une formation de qualité.
Conclusion
Au terme de notre message, notre prière se fait insistante pour que s’établisse dans notre pays, un système éducatif qui produise des acteurs compétents, aptes à relever les défis futurs ; un système éducatif qui forme de vrais leaders ; un système capable de donner des entrepreneurs audacieux, qui sait puiser dans la culture locale pour entrer en dialogue avec toutes les nations. Il apparaît nécessaire que nous élaborions des politiques d’éducation qui tiennent compte des besoins réels et visent à construire un acteur social équilibré qui, devant toutes les situations, avance avec détermination.
Puisse Dieu, dans sa grande bonté, nous aider à trouver sens et valeur à notre vie. Puisse son Amour nous conduire toujours à trouver de nouveaux chemins de l’éducation des hommes !
Donné à Gagnoa, le 30 janvier 2022
Vos frères, les Archevêques et Evêques de Côte d’Ivoire.

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