Reportage/Quand les populations réapprennent à cohabiter

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Comment les populations réapprennent à vivre ensemble

Par JPH

A Béoumi, le calme est de retour après la folie dévastatrice et meurtrière des 15, 16 et 17 mai derniers. Rarement affrontements auront été aussi violents entre deux communautés, Baoulé et Malinké qui vivaient pourtant en bonne intelligence jusque là. Pour un fait qu’on est en droit de qualifier de banal, parce qu’il s’observe à longueur de journée dans les différentes gares routières du pays, des frères manipulés par des individus ayant la haine tribale à fleur de peau, ont détruit tout ce qui pouvait l’être sur leur passage et se sont affrontés à l’arme blanche et aux fusils calibres 12. Bilan, 14 morts, plus de 115 blessés et 123 déclarations de destructions de biens divers. Mais à l’instar de la langue et des dents qui sont obligées à cohabiter dans la bouche après quelques heurts, les communautés de Béoumi unies par les liens du sang depuis des lustres, sont obligées de réapprendre à vivre ensemble. Béoumi a trébuché, Béoumi est tombé, mais Béoumi se relève et regarde devant. Comment ?

Les deux marchés créés au lendemain de la crise se fondent

Au lendemain des affrontements, les populations qui se regardaient en chiens de faïence, ont créé deux marchés différents. Ainsi la communauté Baoulé avait son marché et la communauté Malinké le sien. Personne n’osait aller faire ses emplettes dans le marché de « l’ennemie » au risque de subir une agression verbale ou physique. Depuis que les démons de la guerre se sont retirés, les deux marchés ont fondu en un seul. Commerçants Baoulé et Malinké s’activent à animer désormais leurs étals comme par le passé. Dame Akissi Solange : « Depuis que je suis Béoumi, je n’ai jamais vu deux marchés. Un marché pour les Baoulé et un autre pour les Malinké. Ce sont les affrontements qui ont causé cela. On nous faisait croire que chaque communauté était prête à en découdre avec l’autre. Ma voisine du marché est Malinké. Nous sommes ensemble depuis plusieurs années au point où quand je suis absente au marché pour une raison ou une autre, elle fait sortir mes marchandises et les vend pour moi. C’est la même chose quand elle aussi est absente. Nous avons fonctionné comme cela jusqu’au jour où ce conflit est arrivé. Je suis très contente de retrouver ma voisine. Sarrah est ma sœur. Je demande à Dieu de nous éviter pareille situation ». Comme Sarrah et Solange, commerçants et commerçantes ont repris leurs places habituelles au seul grand marché de la ville et ont déjà entrepris de pratiquer les marchés hebdomadaires dans les villages et villes voisins. 

Reprise effective des cours

La crise avait obligé l’école à fermer. Dans cette ambiance d’affrontements, il ne pouvait en être autrement. Baoulé et Malinké élèves ou professeurs ne pouvaient pas faire chemin ensemble pour l’école et aller partager les mêmes classes. Mais après la rencontre de vérité du samedi 25 mai, la reprise des cours annoncée par le préfet Djedj Mel pour le lundi 27 mai dès 07 heures a été effective. Aucun incident n’a été signalé à ce jour entre élèves ou entre enseignants. Au lycée moderne de la ville, où les élèves des classes intermédiaires ont fait place à leurs frères des classes d’examens, nous avons rencontré des groupes d’études composés de toutes les ethnies. Mlle Dosso Mamina : «Je suis en classe de troisième et j’ai perdu tous mes cahiers dans notre maison qui a été incendiée au lendemain des bagarres. J’avais dû quitter la ville avec mes parents pour aller nous refugier à Kounahiri. C’est grâce à ma camarade de classe Blandine que je parviens à réviser mes cours. Nous échangeons ses cahiers. Par exemple quand elle révise en Anglais moi je peux réviser en Mathématiques ou dans une autre matière. En plus de cela, ce sont ses parents qui m’hébergent parce que les miens ne sont pas encore de retour et nous avons tout perdu. Nous avons un groupe d’étude où il y a des Malinké comme moi et des Baoulé Comme Blandine. Je demande au gouvernement de tout faire pour qu’on puisse passer notre examen »

Baoulé et Maliké sur les mêmes routes et autres chemins menant aux Champs 

L’un des signes incontestables du retour au vivre ensemble, c’est la reprise des routes champs en commun. Les paysans ont recommencé à aller au champ en empruntant les mêmes chemins. « Je suis Malinké de par mon père et ma mère est Baoulé Kôdêh. Depuis plusieurs années nous allons ensemble au champ, Baoulé et Malinké. Cela n’a jamais causé de souci à personne. Mais quand il y a eu les affrontements, il y a eu des gens qui ont trouvé la mort en revenant des champs. On ne pouvait donc pus s’aviser à aller au champ. Mais depuis que les choses sont rentrées dans l’ordre, nous avons repris la route des champs ensemble. Je m’apprête même à aller au champ comme ça. J’y ai encore des stocks d’anacarde. Il faut dire que ce qui nous est arrivé est la pire des choses. Depuis que nous sommes ici, des Malinké travaillent dans des champs pour les Baoulé et vis versa. Cela ne peut pas et ne doit pas s’arrêter. Est-ce que pour aller au champ la route que je dois prendre doit être seulement réservée aux seuls Malinké ou Baoulé ? », s’interroge Diaby Moustapha.

Les activités socio-professionnelles relancées

Tous les secteurs d’activités ont repris à Béoumi, transports, ateliers de coiffure hommes,  et dames, de menuiserie garages mécaniques, chantiers de construction de maisons, maquis et hôtels avec leur employés composés de toutes les communautés vivant à Béoumi….Kouamé Bruno, maître maçon : « Sur cinq apprentis maçons, il y a trois Malinké pour deux Baoulé. Nous avons repris le travail. Et au chantier, je n’arrête pas de leur parler de paix. Ce n’est pas parce que je suis Baoulé que je vais travailler seulement avec des Baoulé. Mes apprentis sont traités sur le même pied d’égalité ». Sanogo Ibrahim, transporteur rencontré à la gare de Béoumi : « C’est ici que tout a commencé. Mais aujourd’hui vous voyez bien toutes les populations se frottent. Nous demandons à tous les transporteurs de même pas parler d’ethnie. Le transport ne connaît pas d’ethnies. Ce qui s’est passé est mauvais. Nous n’en voulons plus. Le chef de gare ici Baoulé et il n’y a pas de problème ». 

Quand de dignes fils de Béoumi et le préfet Djedj Mel donnent le ton de la réconciliation mais affiche la fermeté de rechercher, trouver et punir les instigateurs des affrontements avant de pardonner.

Il est vrai que depuis l’éclatement de la crise plusieurs personnes se sont investies dans le retour au calme. Mais il convient de saluer en premier le ministre de la Communication et des médias, porte-parole du gouvernement, Sidi Touré, fils de Béoumi et le préfet Djedj Mel. Dès les premières heures du conflit, c’est le préfet qui a pris le taureau par les cornes en faisant asseoir les deux communautés à la table des négociations. Il mettra sur pied un comité de gestion de la crise et une adresse électronique sur laquelle des prositions de paix peuvent être faites. Aussitôt informé, le ministre Sidi Touré l’a rejoint sur le terrain. Plusieurs rencontres avec les populations ont ainsi été initiées qui ont abouti à une accalmie. Et depuis, il ne s’est plus passé de semaine sans que le porte-parole du gouvernement ne rencontre les différentes communautés pour les sensibiliser à la paix. Ainsi lui-même Malinké de père et Baoulé de mère a donné l’exemple du vivre ensemble. Il a aussi initié plusieurs ruptures collectives de jeûne et pris part à des séances de prières à la paroisse de la ville pour le retour de la paix. Il n’a pas manqué de parcourir plusieurs localités environnantes, (Bodokro, Sakassou) pour la même cause et demandé aux militants du RHDP d’opposer à la force des armes, un dialogue de paix. « Ayez seulement un langage de paix. Allez dans toutes les contrées défendre le bilan du RHDP. C’est notre bilan qui est attaqué. Les autres en face manquent d’arguments. Il ne faut pas faire comme eux en opposant les populations », avait-il dit le samedi 1er juin au siège du RHDP. Visitant les familles des victimes décédées, le ministre,en plus du soutien moral et financier pour les frais funéraires, les a exhortées au pardon. « Je suis venu prendre ma part de deuil et pleurer avec vous. Merci d’être restés dignes dans la douleur. Faisons en sorte que plus jamais cela n’arrive à Béoumi ». Disposés à aller à la paix, mais aussi déterminés à rechercher, trouver et punir tous ceux qui contribué à jeter de l’huile sur le feu. « Tous ceux qui par leur messages sur les réseaux sociaux ont véhiculé des appels à la violence seront retrouvés et punis. Faites nous confiance », avaient promis les deux autorités chacune avec des mots propres.

Les chefs des deux communautés au four et au moulin

Les chefs des communautés Baoulé et Malinké marquent leur engagement total dans le retour de la paix. A la réunion de vérité à la résidence du préfet, chacun avait demandé pardon à l’autre au nom de ses populations. Et ils avaient fait une déclaration commune par la voix du chef de canton Nanan Ago Barthélemy dans laquelle ils prenaient l’engagement de s’inscrire résolument dans la voie de la paix définitive. Rencontré se jour à Béoumi, ils n’ont pas varié de position. « Nous n’avons d’autre choix que de vivre ensemble, Depuis plusieurs décennies nous nous sommes ensemble. Il n’y a pas à Béoumi une seule famille Malinké où vous ne trouverez pas de Baoulé. Il en est de même pour les familles Baoulé. Même pendant les affrontements, des familles Baoulé ont été hébergées par des Malinké. Des Malinké ont aussi hébergé des Baoulé. Nous avons appelé nos parents Baoulé à la retenue. Je ne cesse de leur demander de recourir à la loi pour régler tous les conflits. Quand deux frères se battent, on les fait asseoir et on tranche. Si vous étiez à la grande réunion à la préfecture, j’ai pris l’engagement au nom de mes parents pour pardonner mais aussi demander pardon. Le démon nous a visités, il ne faut plus que cela se répète. Des moyens ont été mis à notre disposition par notre frère le ministre Sidi Touré pour conjurer le mauvais le sort. Nous l’avons fait. Nous implorons les mannes pour nous préserver d’un pareil sort », a dit Nanan Ago N’goran Barthélemy, chef de canton. Pour sa part, Touré au nom de la communauté Malinké, a rassuré que la sensibilisation à la paix demeure sa principale solution. « Nous allons continuer de parler à nos enfants. Ce qui s’est passé ne doit pas se revivre. J’ai proposé à Nanan Ago qu’on puisse se rencontrer plus fréquemment pour prévenir ce genre de crises. Les Baoulé sont nos tuteurs même si nous vivons ensemble il y a longtemps : Moi qui suis devant vous, j’ai une femme Baoulé. Je ne peux pas aller vivre ailleurs sans les enfants que j’ai faits avec elle. Pour nous qui sommes à majorité musulmans, c’est la prière que nous allons formuler dans les mosquées. Pendant le temps du jeûne, nous avons beaucoup prié pour la paix à Béoumi. Nous allons continuer de prier et accompagner nos prières de sacrifices. S’il se trouve parmi nous des gens qui ne sont pas disposés à la paix, alors nous allons leur demander d’aller se faire voir ailleurs », a-t-il coupé.

A Béoumi donc, les populations sont sur la voie réapprendre à vivre ensemble. Cet élan de paix doit être salué et encouragé par toutes les filles et fils de Béoumi en premier et en second par l’ensemble des Ivoiriens au moment où l’on assiste hélas, à la résurgence des discours haineux et tribalistes parfois venant de personnalités insoupçonnées. La Côte d’Ivoire qui revient de loin par la faute de ces discours aux antipodes n’en a plus besoin. Le gouvernement doit impérativement brandir le bâton face à ces dérives intolérables. C’est pourquoi il convient dans le cas de Béoumi de laisser la justice faire son travail et punir les instigateurs de ces affrontements avant de pardonner. En attendant, saluons le nouveau soleil qui se lève sur Béoumi et prions pour qu’il s’étende sur l’ensemble du pays de Nana Boigny.

JPH

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