Salman Rushdie, « La maison Golden », son dernier roman

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Fondateur du courant de la « littérature-monde » dans les années 1980 avec ses premiers romans (Les Enfants de minuit, La Honte, Les Versets sataniques), l’Indo-Britannique Salman Rushdie – américain depuis deux ans – demeure le maître de la fiction moderne, comme en témoigne La Maison Golden, son treizième roman qui paraît ces jours-ci en traduction française.

C’est un récit somptueux où la littérature se mêle à la vie, les mythologies anciennes aux préoccupations sociales et politiques contemporaines, Sophocle, Truffaut, Calvino à la culture populaire des Etats-Unis où se déroule l’essentiel de l’action de ce livre.

Obama, Trump et Mayflower

Première phrase : « Le jour de l’investiture du nouveau président, alors que nous craignions qu’il fût assassiné tandis qu’il avançait, main dans la main avec sa femme exceptionnelle au milieu d’une foule en délire… ». Le roman s’ouvre par la cérémonie d’investiture de Barack Obama et se clôt sur les premiers mois à la Maison-Blanche du président Trump décrit comme « un impitoyable, ambitieux, narcissique, tyran médiatique portant du maquillage et des cheveux colorés ». Est-ce ainsi que s’achève l’aventure du Mayflower, s’interroge Rushdie.

Alors que l’écrivain installé aux Etats-Unis depuis 1999 militait personnellement pour l’élection de la candidate démocrate Hillary Clinton, son livre dont la rédaction était terminée à 95% avant le fatidique 8 novembre 2016 a anticipé la victoire de Trump. Au point que Rushdie aurait sans doute eu à réécrire une partie de son roman si Hillary Clinton avait remporté la présidentielle américaine de 2016. Pour l’écrivain, c’est la preuve que la fiction est souvent plus efficace pour saisir la vérité sur l’évolution de la cité que les analystes politiques les plus calés.

Un roman social

Pour autant, La Maison Golden n’est pas un roman politique. Il a l’ambition d’être le grand roman social de l’Amérique du XXIe siècle. « C’est un récit sur les hommes en temps de folie », au dire même de l’auteur. Il marque aussi le retour au réalisme de Salman Rushdie dont le nom est souvent associé au réalisme magique. Plus balzacien que kafkaïen dans son approche, le livre n’oublie pas toutefois les grands thèmes chers au romancier tels que le déclin civilisationnel, le renouveau, la métamorphose, la migration, la réinvention identitaire, la liberté, incarnés ici par des personnages fragiles, travaillés par leurs failles intérieures et leur mal-être.

Ces personnages constituent la famille éponyme, dont les tribulations sont au cœur de La Maison Golden. Coïncidence non sans intérêt pour la suite de l’intrigue, ils débarquent aux Etats-Unis le jour même de l’investiture d’Obama, fuyant le terrorisme et la mafia dans leur pays qui n’est autre que l’Inde, source d’inspiration inépuisable de Rushdie.

Immensément riche, la tribu Golden composée d’un patriarche septuagénaire et ses trois grands fils, s’installe dans un complexe résidentiel cossu, au cœur du légendaire Greenwich Village. Tout n’est ici que luxe, calme et volupté. Aussi, l’arrivée dans ce quartier des hommes mystérieux, « pas blancs dans le sens conventionnel du terme » malgré leur teint clair et leur allure sophistiquée, suscite l’inquiétude et la curiosité des voisins.

« Un roi sans couronne »

Enigmatique millionnaire, le père Golden qui se fait appeler Néron comme l’empereur romain, dernier de la dynastie julio-claudienne, règne d’une main de fer sur sa famille. L’homme a fait fortune à Bombay dans l’acier et le bâtiment, mais a dû fuir le pays avec sa famille à cause de sa trop grande complicité avec la pègre locale.

Habitué à exercer son pouvoir sur son entourage et sur tous ceux qui dépendent de lui, Néron fréquente les puissants et se comporte comme « un roi sans couronne ». Son ambition démesurée dont témoigne son choix de s’installer dans le palais le plus prestigieux – une domus aurea – du légendaire Greenwich Village, sera son hubris et la cause de sa chute. Cette chute anticipée depuis le début du roman est aussi liée au passé mystérieux du personnage dont le dévoilement dans la dernière partie du roman constitue l’un des principaux enjeux de ce roman.

Or l’homme n’est pas entièrement sans cœur, comme l’intrigue nous le rappelle. On le voit en train de pleurer sans retenue son épouse abattue à l’historique hôtel Taj Mahal de Bombay pendant l’attaque terroriste de 2008. La détresse des hommes et femmes frappés par le destin ne le laisse pas insensible non plus. Néron décrypte lui-même sa propre ambiguïté : « Je suis dur et vantard et habitué à occuper une certaine position dominante, ce que je veux je prends, ce que je ne veux pas, je l’écarte de mon chemin. Mais quand vous me regardez en face, posez-vous la question suivante : Est-il possible d’être bon et mauvais à la fois ? Un homme peut-il être bon tout en étant méchant ? » Cette question traverse tout le livre et constitue d’une certaine façon son fondement éthique.
Fondateur du courant de la « littérature-monde » dans les années 1980 avec ses premiers romans (Les Enfants de minuit, La Honte, Les Versets sataniques), l’Indo-Britannique Salman Rushdie – américain depuis deux ans – demeure le maître de la fiction moderne, comme en témoigne La Maison Golden, son treizième roman qui paraît ces jours-ci en traduction française.

C’est un récit somptueux où la littérature se mêle à la vie, les mythologies anciennes aux préoccupations sociales et politiques contemporaines, Sophocle, Truffaut, Calvino à la culture populaire des Etats-Unis où se déroule l’essentiel de l’action de ce livre.

Obama, Trump et Mayflower

Première phrase : « Le jour de l’investiture du nouveau président, alors que nous craignions qu’il fût assassiné tandis qu’il avançait, main dans la main avec sa femme exceptionnelle au milieu d’une foule en délire… ». Le roman s’ouvre par la cérémonie d’investiture de Barack Obama et se clôt sur les premiers mois à la Maison-Blanche du président Trump décrit comme « un impitoyable, ambitieux, narcissique, tyran médiatique portant du maquillage et des cheveux colorés ». Est-ce ainsi que s’achève l’aventure du Mayflower, s’interroge Rushdie.

Alors que l’écrivain installé aux Etats-Unis depuis 1999 militait personnellement pour l’élection de la candidate démocrate Hillary Clinton, son livre dont la rédaction était terminée à 95% avant le fatidique 8 novembre 2016 a anticipé la victoire de Trump. Au point que Rushdie aurait sans doute eu à réécrire une partie de son roman si Hillary Clinton avait remporté la présidentielle américaine de 2016. Pour l’écrivain, c’est la preuve que la fiction est souvent plus efficace pour saisir la vérité sur l’évolution de la cité que les analystes politiques les plus calés.

Un roman social

Pour autant, La Maison Golden n’est pas un roman politique. Il a l’ambition d’être le grand roman social de l’Amérique du XXIe siècle. « C’est un récit sur les hommes en temps de folie », au dire même de l’auteur. Il marque aussi le retour au réalisme de Salman Rushdie dont le nom est souvent associé au réalisme magique. Plus balzacien que kafkaïen dans son approche, le livre n’oublie pas toutefois les grands thèmes chers au romancier tels que le déclin civilisationnel, le renouveau, la métamorphose, la migration, la réinvention identitaire, la liberté, incarnés ici par des personnages fragiles, travaillés par leurs failles intérieures et leur mal-être.

Ces personnages constituent la famille éponyme, dont les tribulations sont au cœur de La Maison Golden. Coïncidence non sans intérêt pour la suite de l’intrigue, ils débarquent aux Etats-Unis le jour même de l’investiture d’Obama, fuyant le terrorisme et la mafia dans leur pays qui n’est autre que l’Inde, source d’inspiration inépuisable de Rushdie.

Immensément riche, la tribu Golden composée d’un patriarche septuagénaire et ses trois grands fils, s’installe dans un complexe résidentiel cossu, au cœur du légendaire Greenwich Village. Tout n’est ici que luxe, calme et volupté. Aussi, l’arrivée dans ce quartier des hommes mystérieux, « pas blancs dans le sens conventionnel du terme » malgré leur teint clair et leur allure sophistiquée, suscite l’inquiétude et la curiosité des voisins.

« Un roi sans couronne »

Enigmatique millionnaire, le père Golden qui se fait appeler Néron comme l’empereur romain, dernier de la dynastie julio-claudienne, règne d’une main de fer sur sa famille. L’homme a fait fortune à Bombay dans l’acier et le bâtiment, mais a dû fuir le pays avec sa famille à cause de sa trop grande complicité avec la pègre locale.

Habitué à exercer son pouvoir sur son entourage et sur tous ceux qui dépendent de lui, Néron fréquente les puissants et se comporte comme « un roi sans couronne ». Son ambition démesurée dont témoigne son choix de s’installer dans le palais le plus prestigieux – une domus aurea – du légendaire Greenwich Village, sera son hubris et la cause de sa chute. Cette chute anticipée depuis le début du roman est aussi liée au passé mystérieux du personnage dont le dévoilement dans la dernière partie du roman constitue l’un des principaux enjeux de ce roman.

Or l’homme n’est pas entièrement sans cœur, comme l’intrigue nous le rappelle. On le voit en train de pleurer sans retenue son épouse abattue à l’historique hôtel Taj Mahal de Bombay pendant l’attaque terroriste de 2008. La détresse des hommes et femmes frappés par le destin ne le laisse pas insensible non plus. Néron décrypte lui-même sa propre ambiguïté : « Je suis dur et vantard et habitué à occuper une certaine position dominante, ce que je veux je prends, ce que je ne veux pas, je l’écarte de mon chemin. Mais quand vous me regardez en face, posez-vous la question suivante : Est-il possible d’être bon et mauvais à la fois ? Un homme peut-il être bon tout en étant méchant ? » Cette question traverse tout le livre et constitue d’une certaine façon son fondement éthique.

Actes Sud – « La Maison Golden » est le treizième roman de Salman Rushdie.
Une seconde grande question qui est abordée dans ce récit, c’est celle de la liberté sexuelle. Elle entre dans l’intrigue par le biais du troisième fils Golden, déchiré entre son ying et son yang. Femme prisonnière de son corps de garçon, Dionysos est torturé par ses désirs de transsexuels, jusqu’au moment où sa petite amie du moment lui fait faire des bonds dans sa quête identitaire en lui rappelant qu’être homme ou femme ne dépend pas de la biologie, mais de choix personnel. « Tu peux être ce que tu choisis d’être », lui dira-t-elle. Chemin faisant, cette question d’identité, va s’étendre à d’autres questions telles que l’identité nationale, l’identité raciale qui demeurent les enjeux non-résolus du devenir américain, régulièrement remis sur le tapis.

Profondément littéraire

On n’aura rien dit sur La Maison Golden si on ne souligne pas combien c’est un roman profondément littéraire. Bourré de références littéraires, mythologiques et cinématographiques, le récit procède par accumulation, par allusions, par références. La logique esthétique est ici aussi importante que la logique sociale ou géopolitique, comme le rappelle le choix des noms les uns plus extravagants que les autres dans ce livre. Ici le nom est destin, comme on le voit avec le patriarche Golden dont le choix de se faire appeler Néron n’est peut-être pas étranger aux circonstances dramatiques de sa disparition dans l’incendie de son palais.

La dimension littéraire de ce roman est illustrée aussi par le choix structurel fait par l’auteur de confier la narration à un jeune habitant du Greenwich Village, voisin des Golden. Diplômé en études cinématographiques, René Unterlinden est en train de réaliser un « mokumentaire », parodiant l’univers chaotique de ses voisins pas comme les autres. Tout comme dans Gatsby de Fitzgerald auquel le roman de Rushdie lors de sa parution en anglais en 2017 a été comparé, c’est à travers les yeux du témoin privilégié que les lecteurs prennent connaissance des tribulations des Golden. Du moins jusqu’au moment où le témoin devient lui-même acteur et voire même héritier de la maisonnée aux ambitions grandioses. Narrateur naïf et peu fiable, il n’avait pas pensé que son prénom René était un anagramme de « Néron » et que dans l’univers des Golden le nom était destin.

Bienvenu à Domus Aurea ! Avec ce roman éblouissant d’inventivité, d’érudition et d’intelligence, Salman Rushdie signe sans doute l’un de ses livres les plus aboutis.

La Maison Golden, par Salman Rushdie. Traduit de l’anglais par Gérard Meudal. Actes Sud, Paris, 416 pages, 23 euros.

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