Bob sur la tête, chemise à carreaux, veste sans manches. Ceux qui connaissaient Jean Hélène se souviennent, avec un sourire, de sa tenue de reporter. Pour des millions d’auditeurs, c’était une voix singulière, familière, qui les éclairait sur l’Afrique. Homme de terrain, il avait arpenté ce continent depuis le début des années 1990 comme correspondant pour plusieurs médias, notamment RFI.
Cet amoureux de l’Afrique connaissait sa beauté, savourait, pour reprendre ses mots, « les odeurs tropicales de la nuit ou de l’aube ». Il avait aussi vu, vécu, ses conflits les plus sanglants : les guerres civiles en Somalie et au Soudan du Sud, le génocide au Rwanda, le chaos en Côte d’Ivoire. C’est là-bas, à Abidjan, qu’il a été assassiné par un policier le 21 octobre 2003.
« Un modèle » : c’est le mot qui revient le plus souvent quand on interroge ceux qui ont connu Jean Hélène. Ou plutôt Christian Baldensperger, son vrai nom, qu’il jugeait imprononçable à la radio. Il fera sien celui de sa mère, Janine Hélène, décédée alors qu’il n’avait que 10 ans. Rares sont ceux qui le savaient. Jean Hélène détestait parler de lui.
« Jean Hélène nous rappelle ce qu’est le journalisme »
Véritable homme d’action de l’ombre, il ne se mettait jamais en avant dans son travail. « Du point de vue du style, de la rigueur journalistique, il était parfait », juge son ami Bernard Nageotte, ancien correspondant à Libreville, au Gabon, puis rédacteur en chef adjoint du service Afrique de RFI. « Il n’était pas engagé politiquement, mais défendait une idée du journalisme qui devrait toujours être valable : il prenait toujours l’histoire par les petites gens, dont il était très proche, et n’allait pas forcément chercher les gens de pouvoir pour s’informer. »
Un avis que partage Christophe Champin, qui fut l’adjoint de Jean Hélène à la direction du service Afrique de RFI en 2002. De ses reportages en Afrique de l’Est et dans la région des Grands Lacs, déjà le théâtre de conflits, il retient sa modestie, son amour pour le terrain, et son recul pour ne jamais se faire embarquer. Ce qui l’exposait considérablement, notamment pendant la guerre du Rwanda, où il était lu et écouté dans les deux camps. Il faisait preuve d’une « neutralité active », comme le théorise Christophe Champin. A rebours de la sacro-sainte objectivité qui, pour certains, fait le lit de la défiance envers les médias aujourd’hui. « Il faut faire connaître le travail de Jean dans les écoles, auprès des jeunes journalistes. Le lire et l’écouter, apprendre de son expérience », défend ainsi son ancien adjoint et ami.
« Un parangon d’honnêteté intellectuelle »
Dans son livre Ecrits d’Afrique, publié en 2004 (Editions de La Martinière), Pierre-Edouard Deldique, journaliste à RFI, propose justement de relire certains de ses reportages, sélectionnés parmi plus de 800 articles du Monde et 1 000 correspondances de RFI. « C’est l’incarnation du reporter, la modestie en plus. Jean Hélène nous rappelle ce qu’est le journalisme », estime-t-il. « Il abordait l’actualité au plus près, sur le terrain, mais en essayant toujours de prendre du recul par rapport à l’événement pour le replacer dans son contexte. »
Encore aujourd’hui, lire ou écouter Jean Hélène, c’est prendre une leçon sur le métier. Pierre-Edouard Deldique, également enseignant à l’Ecole de Journalisme de Sciences Po, confie : « A chaque fois que je participe à la formation d’une promotion en radio, j’essaie de parler de lui. » Les ambiances sonores, le rythme dynamique, l’art de décrire en peu de mots : le style de Jean Hélène représente la quintessence du reportage.
Journaliste pour RFI et pour Le Monde, cette double casquette ne le gênait pas : il excellait aussi bien à l’écrit qu’à la radio, aux codes pourtant différents. Frédéric Fritscher, ancien journaliste au Monde, se souvient encore très bien de ses articles. « Quand j’ai été au desk Afrique pour couvrir l’actualité africaine depuis Paris, je suis devenu le premier consommateur de ses papiers. Il avait une passion pour le reportage. Le fond et la forme étaient indissociables pour lui. »
Son travail était connu, et reconnu, par ses confrères et les spécialistes de l’Afrique. « Il ne plaisantait pas avec la véracité des faits. C’est un modèle, pas seulement de correspondant à l’étranger, mais en toute situation. Jean est un parangon d’honnêteté intellectuelle », résume-t-il, la voix empreinte d’émotion
Informer malgré les risques
Certes, l’actualité d’il y a 15 ans n’est par définition plus d’actualité. Certes, le contexte n’est plus le même. Pourtant, Jean Hélène reste si proche de nous. Son assassinat, dans l’exercice de son métier, fait aujourd’hui écho. « On peut faire un lien, une ligne continue entre Jean Hélène et les journalistes qui ont été tués ces derniers mois en Slovaquie et à Malte », analyse Pierre Haski, président de Reporters sans Frontières (RSF). « Ce sont les mêmes ressorts qui sont à l’œuvre : un climat de délégitimation du journaliste, en disant que c’est quelqu’un de nuisible, qui fait que le passage à l’acte n’est plus tabou. »
Jean Hélène, notre contemporain donc. Comment rendre hommage à cet homme si discret, modeste, évitant tout épanchement narcissique ? Sans doute dans l’exercice du métier, selon Pierre-Edouard Deldique : « être rigoureux, continuer à travailler sur le terrain en n’oubliant pas la touche humaine, faire sentir le pays dans lequel on est : pratiquer le journalisme de cette façon, c’est rendre hommage à Jean Hélène »
■ Reportage : en Côte d’Ivoire, son souvenir reste très présent au sein de la profession qui continue à sa manière d’entretenir sa mémoire
Dans le quartier d’affaire du Plateau à Abidjan, appuyé sur sa canne, Eugène Kacou, journaliste ivoirien à la retraite, désigne un parking bordé d’arbres situé à quelques mètres du siège de la police nationale,
C’est à cet endroit, le 21 octobre 2003 en pleine crise ivoirienne, que Jean-Hélène a été abattu. Depuis, c’est ici que presque chaque année se tient une course cycliste en son hommage. Eugène Kacou en est l’initiateur et pour le septuagénaire, même 15 ans plus tard, il est essentiel de ne pas oublier : « Il était un grand professionnel, c’était un journaliste d’investigation et puis en plus de ça, c’était une période difficile en Côte d’Ivoire, il aurait pu demander à aller ailleurs, mais il est resté ici. Donc on ne peut pas oublier quelqu’un comme ça. Il était venu pour faire son travail, c’était son métier et on l’a tué pour son métier. L’oublier serait grave pour la profession. »
L’assassinat du reporter français est aussi régulièrement évoqué lors des cours de journalisme à l’université FHB Abidjan. Et pour Moussa Traoré, le président de l’Union des journalistes de Côte d’Ivoire, entretenir sa mémoire est important pour qu’un tel drame ne se reproduise pas. « Nos aînés à l’époque se sont mobilisés pour dire plus jamais ça dans notre pays, et nous qui avons pris la relève, nous suivons sur la même voie. Et donc notre objectif aujourd’hui, c’est que les gens respectent les journalistes, que les gens sachent qu’un journaliste n’est pas l’ennemi. »
« Il y a un avant et un après Jean Hélène », poursuit Moussa Traoré. Et 15 ans plus tard, assure-t-il, son souvenir reste vivace en Côte d’Ivoire.
Avec Rfi