Armement/Les nouveaux missiles « invincibles » des Russes

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Ils sont capables d’atteindre des vitesses hypersoniques, les nouvelles armes développées par la Russie seraient « pratiquement » impossibles à abattre. Un avantage stratégique décisif. Et donc, une situation d’infériorité militaire jamais vue pour les États Unis depuis le lancement de Sputnik en 1957. Peut-être les prémices d’une nouvelle course aux armements.

En février 2019, Vladimir Poutine reprochait aux Américains leur intention de déployer de nouveaux systèmes d’armes, en Europe notamment. Il mettait alors en garde les Occidentaux, et annonçait la livraison prochaine à son armée de « missiles hypersoniques », quasiment invincibles par leur vitesse (Mach 20), et leur aptitude à changer de cap et d’altitude. Ce n’était pas du bluff. 6 mois plus tard, la nouvelle tombait : la Russie sera le premier pays à équiper ses sous-marins de missiles hypersoniques de croisière. Ne pouvant être détectés qu’au dernier moment, donc trop tard. Reviendrait-t-on à une certaine « guerre des étoiles » lancée dans les années 80 par Ronald Reagan mais désormais en faveur de la Russie ?
Les Russes s’en défendent. Au point que Vladimir Poutine a même proposé (avec humour ?), lors du Forum Économique Oriental en septembre, d’en vendre à Donald Trump « et ainsi tout équilibrer d’un coup. Pourquoi dépenser de l’argent (en recherche et développement) alors que nous l’avons déjà dépensé et que nous pouvons en tirer quelque chose sans compromettre notre sécurité, mais dans l’intérêt de créer une situation d’équilibre ? » justifiait le Président russe. Outre les États-Unis, la concurrence de la Chine fait craindre aux grandes puissances comme la Russie la relance d’une course technologique, au vainqueur toujours incertain.

Comment en est-on arrivé là ?

A la fin de la 2 guerre mondiale, les nazis étaient proches d’accéder à des avantages majeurs en termes d’armement, et qui auraient pu changer le cours du conflit en leur faveur. En mettant au point les premiers chasseurs à réaction, puis les premières fusées V1 puis V2 pour bombarder l’Angleterre depuis la France occupée. Heureusement, ces « premiers missiles » étaient trop imprécis et ne pouvaient pas emporter de lourdes charges. En outre, leurs sites de lancement ont pu être copieusement bombardés. Les troupes alliées ont envahi l’Allemagne avant que le V2 ne soit perfectionné et que son programme de construction ne prenne trop d’ampleur. Les promoteurs de ces armements nouveaux ont été récupérés par les Américains (Von Braun par exemple) et les Soviétiques principalement.

La folle course aux armements

Durant la guerre froide qui a suivi, Russes et Américains n’ont cessé de développer des arsenaux d’armes nucléaires toujours plus importants, et des vecteurs capables de les lancer sur l’ennemi. Cet effort de guerre a été colossal de part et d’autre. Il a conduit à la création de complexes militaro-industriels puissants. Des dépenses budgétaires considérables ont contribué pour l’URSS, dont l’économie « planifiée » était moins performante, à son appauvrissement et au final, à son éclatement. Jusqu’au début des années 90, plus de 70.000 ogives nucléaires (russes et américaines principalement) sont accumulées par les cinq premières puissances nucléaires (réduites à 14.000 environ vers 2017). Les deux camps ont du également produire des milliers de missiles et de bombardiers stratégiques, ainsi que des centaines de sous-marins lanceurs d’engins SNLE.

La désescalade

On a pu mesurer l’importance de ces dépenses à travers les économies réalisées grâce à leur réduction dans les (seules, hélas) années de désarmement consécutives aux initiatives de Michael Gorbatchev et de sa Perestroïka. Suite aux accords pris par Gorbatchev-Reagan, un contrat signé en 1995 prévoyait qu’Américains et Russes collaboreraient pour transformer l’uranium hautement enrichi des 20.000 têtes de missiles russes SS20 démantelées en uranium faiblement enrichi pouvant servir à l’industrie civile, le combustible pour les centrales nucléaires. Il générera… 17 milliards de dollars de recettes pour l’Etat russe, par la valorisation d’une composante énergétique pouvant assurer 10% de la production d’énergie électrique US ( !), plus 150.000 tonnes d’équivalent uranium.
A titre de comparaison, les 10 gisements d’uranium les plus importants dans le monde permettent une production annuelle cumulée d’environ 30.000 t. Il faudra d’ailleurs associer aussi les industriels français, canadiens et allemands pour absorber une telle quantité de matière sans faire chuter les marchés. L’Etat russe avait bien besoin de ces recettes à cette époque de transition, puisqu’il se déclarait en défaut de paiement en 1998, et que le rouble perdait en une journée les deux tiers de sa valeur. Ces chiffres montrent bien l’énormité des efforts industriels, économiques, financiers et humains, consentis par les deux pays pour parvenir à un équilibre de la terreur, en se neutralisant mutuellement, lorsqu’il fut admis que l’on était entré dans l’ère de la « destruction mutuelle assurée » en cas de guerre nucléaire. Après la dissolution de l’URSS fin 1991, les Américains firent sensiblement de même de leur côté (diminuer leurs stocks d’armes nucléaires), mais sans y être contraints économiquement.

Aujourd’hui, on réarme ?

L’URSS ayant disparu (la Chine n’avait pas encore émergé), les Etats Unis se retrouvaient seule superpuissance, et ont pu ultérieurement continuer à développer leur arsenal militaire. Sur mer, ses moyens de « projection » augmentaient considérablement, les Etats-Unis disposant actuellement d’une dizaine de porte-avions en ordre de marche, quand aucune des autres grandes puissances n’en dispose de plus de deux. C’est de ce constat que les Russes (déjà à l’époque soviétique) développaient des armements qui, à moindre coût, leur permettraient en théorie de s’opposer à cette puissance. C’est l’exemple des torpilles Shkval dont la vitesse inégalée, et son possible armement nucléaire, pouvaient mettre en danger une flotte menée par un porte-avions. De son côté, le complexe militaro-industriel américain, qui a beaucoup souffert de la fin de la guerre froide en termes de commandes, donc de revenus, aurait tout intérêt aux périodes de tensions internationales, à continuer de fournir du matériel à son armée et à ses alliés. Son symétrique en Russie aussi d’ailleurs, partiellement privatisé. Et pour les deux belligérants historiques, un intérêt commun également à pouvoir ultérieurement contenir la Chine. Sur les mers pour les Américains. Sur terre pour les Russes, qui ont quand même 4250 km de frontière commune… Une Chine qui monte en gamme et en valeur ajoutée dans tout ce qu’elle produit, dont l’armement.
Dans la période plus récente, les accords de désarmement nucléaire américano-russes touchent à leur fin ou ont expiré, et les dirigeants des deux pays n’ont pas pu ou voulu les renouveler. La Russie, subissant les conséquences des sanctions économiques l’affectant depuis la crise ukrainienne, a tout intérêt à chercher à compenser à moindre coût le déséquilibre stratégique généré par les dernières initiatives américaines : déploiement de boucliers antimissiles en Europe et en Corée du Sud, miniaturisation de l’arme atomique pour un emploi « tactique ».
L’équilibre de la terreur était bien un équilibre ; si celui-ci est rompu, il faut en chercher

L’équilibre de la terreur était bien un équilibre ; si celui-ci est rompu, il faut en chercher un autre. Les armes hypersoniques, parce que difficiles à concevoir et produire, ne peuvent l’être que par peu de pays (USA, Russie, Chine pour l’instant) et pourraient être de nature à recréer cet autre équilibre. Le problème pour celui qui est agressé par un missile hypersonique est qu’il ne sait pas s’il est équipé ou non d’une charge nucléaire. Le temps de préavis pour réagir est tellement court qu’il risque d’entraîner une décision inappropriée. Là est le grand danger.
Revue de projets de missiles hypersoniques
Le missile hypersonique « Zircon » présenté par le chef de l’état russe est annoncé à Mach 8 ou 9, est qualifié de missile de « défense ». Il équiperait notamment des sous-marins nucléaires. Les porte-avions américains deviendraient ainsi totalement vulnérables. Ceci fait déjà l’objet d’un débat aux Etats-Unis : pourquoi investir plus de 10 milliards de dollars dans un outil qui deviendrait une cible indéfendable ?
La Russie annonce aussi des tests réussis d’un missile Kinjal à Mach 10 (qui serait lancé d’un MiG 31) et d’un missile hypersonique « Avangard » à Mach 20, capable de briser tous les systèmes de défense. Cela pourrait se révéler être une avance de plusieurs années sur les systèmes concurrents, garantissant ainsi une certaine sécurité à la Russie. Un autre missile, pourtant subsonique celui-là, inquiète aussi les observateurs occidentaux : le « Bourevestnik ». Indétectable car volant près du sol et a portée quasi illimitée car à propulsion nucléaire. Mais surtout, en situation de « vol perpétuel », donc capable de se diriger sur une cible plus rapidement que tout autre engin similaire tiré depuis une base de lancement.

Dans ce domaine, la Chine serait à Mach 6. Elle a présenté son missile balistique «Dongfeng-41» (DF-41) lors des récentes cérémonies du 70 anniversaire de sa création, qui pourrait (au conditionnel) être en service depuis 2017. Ainsi qu’un drone de surveillance hypersonique, « WZ-8 ». Ce dernier, capable de voler à Mach 6 ou 7, aurait pour tâche de guider des missiles lourds vers les aéronefs américains, même si les satellites chinois étaient mis hors service.
Les États-Unis disent être en retard sur les programmes russes et chinois de l’hypersonique (info ou intox?) mais annoncent qu’ils disposeront de ces armes en 2023. Dans ce domaine, les Américains, quand ils ne sont pas en avance, ne restent jamais très longtemps en arrière. La France annonce un « planeur » hypersonique développé par Arianegroup pour 2021, d’une vitesse de 6000 km/h (la limite « inférieure » de l’hypersonique).
Chacun des pays cités communique sur ses projets mais on peut imaginer que la désinformation est « naturelle » compte tenu des enjeux. Car les problèmes techniques sont nombreux pour la mise au point de tels engins. Ils concernent les matériaux, le combustible, le guidage, etc… mais nous ne sommes plus dans le bluff complet, comme cela pu être le cas dans le passé. A différents stades de maturité, ces projets, pour la plupart, sont déjà réels, même si tous les problèmes de la fiabilité de ces nouvelles armes ne sont pas encore résolus.
Et demain ?
Comme au temps de « l’équilibre de la terreur », lorsque chaque camp alignait face à l’autre encore plus de milliers d’ogives nucléaires et des milliers de porteurs fusée ou bombardiers, plus quelques centaines de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins SNLE, aucune des grandes puissances n’a osé engager le combat direct avec l’autre, sous peine de représailles mortelles. Espérons que la mise au point de ces nouvelles armes hypersoniques conduise au même résultat : neutraliser les intentions d’engager le combat. On peut supposer qu’il faudra alors, comme pour le nucléaire, essayer d’empêcher ou retarder le plus longtemps possible la prolifération de ces armes par d’autres pays.
Missile hypersonique, de quoi parle–t-on ?

La vitesse du son est de 1235 km/h (343 mètres par seconde), ou Mach 1 ; ce qui au dessus de cette vitesse est du supersonique. On parle d’hypersonique à partir de Mach 5.
Les premiers avions militaires supersoniques fabriqués en série ont suivi aux Etats-Unis à partir de 1954 (F-100 Super Sabre,) en Russie en 1955 (MiG 19), en France en 1958 (super Mystère B2).
En 2004, les Américains, avec un avion prototype sans pilote, le Boeing X-51 ont battu le record mondial de vitesse à Mach 5. Des essais (avec problèmes) ont été faits à Mach 6.

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