Côte d’Ivoire/Ce qui explique la mévente de l’anacarde à Niakara

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On peut le dire, c’est un véritable sale temps que traversent les producteurs de noix de cajou du département de Niakara. En effet depuis l’ouverture officielle de la campagne 2019 de l’anacarde après que le gouvernement a fixé le prix d’achat bord champ du kilogramme à 375 F CFA, aucun paysan n’a réussi jusqu’à ce jour, à vendre le moindre kilo au prix indiqué. Face à cette situation pénible pour l’ensemble des paysans de la zone, eux qui tirent principalement leurs ressources financières de la vente de la noix de cajou,  Ivoirecho a enquêté pour vous.

Voici ce qui explique l’infortune des producteurs de Niakara. Infortune du reste aggravée par une baisse importante de la production à cause du prolongement de L’harmattan et de la venue tardive de la pluie. Qu’est-ce qui explique donc la mévente de l’anacarde à Niakara et Tafiré ?

L’inexistence de coopératives dans la plupart des villages

La première raison sur laquelle tout le monde s’accorde ici, est le manque d’organisation des paysans en coopératives. Les villages qui comptent des coopératives en leur sein se comptent au bout des doigts dans le département. Cette situation amène les paysans à vendre individuellement leur production et bien souvent ils se retrouvent seuls à marchander avec les acheteurs. Les paysans dans leur grand ensemble vous diront qu’ils voient bien l’utilité des coopératives, mais évoquent une déception liée à leur fonctionnement. << Ce n’est pas la première fois que nous avons mis sur pied une coopérative dans le village. On nous prélevait un certain montant par kilogramme de produit vendu pour alimenter les caisses de la coopérative. Nous avons consenti et à la fin de la campagne, la coopérative a bénéficié de ristournes dont nous n’avons jamais senti les retombées. Seul les devanciers de la coopérative en ont tiré profit. Cela s’est répété plusieurs fois. Ce qui a fini par décourager tout le monde. Aujourd’hui chacun préfère vendre seul que d’enrichir des individus qui bien souvent, ne sont pas propriétaires d’un champ >>, a justifié Coulibaly Benoît du village d’Arikokaha soutenu par plusieurs autres producteurs. << Moi j’ai toujours milité pour la coopérative, mais personne ne veut écouter personne. Nous n’arrivons même pas a parler le même langage quand il s’agit de s’accorder sur le prix d’achat. Quand tu proposes qu’on bloque la production jusqu’à ce qu’on obtienne un bon prix d’achat, des personnes te répondent qu’elles ne sont pas fortunées comme toi. Or si nous étions regroupés en coopérative, tout le monde vendrait au même prix >>, se désole Koné Fangtah du village de Badiokaha.

La mauvaise foi des acheteurs

Au début de la campagne, les acheteurs qui comme d’habitude avaient vite fait d’envahir le terrain, évoquaient plusieurs raisons pour ne pas appliquer le prix bord champ. Entre autres le manque de financement et les nombreuses taxes auxquelles ils doivent faire face. Mais aujourd’hui que l’Etat vient de revoir à la baisse le Droit unique de sortie, (DUS), il n’y avait plus théoriquement raison qu’un meilleur prix ne soit pas zppliqué sur le terrain. Malheureusement la situation demeure inchangée malgré l’optimisme du député de Niakara, Arikokaha, Tortiya, Dr Guibessongui Séverin sur sa page Facebook, après une tournée effectuée dans sa circonscription du 28 au 30 mars 2019. Selon lui, << le taux du DUS applicable aux exportations de noix de cajou actuellement de 10% conformément à l’ordonnance no 2018-145 du 14 février2018 est fixé à 7%  de la valeur  CAF. Soit une basse de 3%>>. Toute chose qui permet au député de se réjouir en ces termes. << Cela permettra de payer un juste prix aux producteurs et de préserver les intérêts des exportateurs >>. Malheureusement pour l’heure, nous n’en sommes pas encore là et on peut même dire que la situation tend à s’aggraver avec des prix beaucoup plus bas que ceux du début de la campagne. Le kilogramme de noix de cajou s’achète aujourd’hui entre 150 F et 250 F CFA, loin en dessous du prix bord champ. Pourtant l’Etat a bel et bien fait un sacrifice en baissant le DUS. La balle comme on le voit, reste dans le camp des acheteurs qui continuent de pratiquer de mauvais prix.

La ruse de mauvais goût des paysans

C’est la qualité de la noix de cajou qui est en jeux. Sur ce point, certains agriculteurs refusent d’appliquer les consignes pour un produit de bonne qualité, (séchage, tri, conservation…). On le sait le meilleur anacarde est celui qui est bien séché, trié et bien conservé, c’est-à-dire mis dans des sas appropriés et stocké loin de l’humidité. Beaucoup de paysans ne respectent pas ces consignes. Le comble cette année, des producteurs qui ont encore par devers eux la production de l’année dernière, s’avisent à la mélanger à la nouvelle. Conséquence, l’anacarde du Hambol, autrefois prisé pour sa qualité est rejeté par les acheteurs qui ne veulent pas se retrouver avec un produit qu’il ne pourront pas écouler à leur tour. Alors nous nous retrouvons dans une situation où acheteurs et producteurs rusent les uns avec les autres. Les premiers jouent sur les prix quand les seconds jouent sur le mélange de la récolte de la campagne 2018 et la nouvelle, celle présente, c’est-à-dire de 2019. << Je n’ai pas réussi à écouler ma production de l’année dernière, environ deux tonnes et demie. Que vais-je en faire ? L’anacarde ne se mange pas comme ça, si non je l’aurais gardé pour ma consommation. Je suis obligé de le vendre d’une manière ou d’une autre. Quand les acheteurs arrivent, aucun ne parle de notre production de l’an passé. Si vous étiez à notre place, qu’auriez vous fait ? Pour moi, la campagne de cette année est morte. Nous allons repartir sur le bon pied l’année prochaine >>, a promis O.L de Nangoniékaha.

La passivité des différentes autorités qui ressemble à une complicité

Les acheteurs, disons le tout net, agissent à leur guise dans le département. Ils ne sont inquiétés par qui que ce soit. Pas de comités de veille comme ailleurs. De leur côté, les autorités administratives et coutumières observent et les laissent agir les acheteurs comme bon leur semble. Des sources anonymes dénoncent même une complicité entre certaines de ces autorités et les acheteurs véreux. Il faut se demander comment ces acheteurs arrivent dans les villages et commencent à exercer leurs activités sans avoir eu à échanger avec un notable, un chef de village, encore moins un sous préfet ou un préfet. << Aujourd’hui, l’activité d’acheteur d’anacarde s’exerce par n’importe qui, pour peu que qu’il aie un peu d’argent. Tu peux rentrer dans n’importe quel village de notre département de jour comme de nuit et acheter de l’anacarde au premier venu. Tu ne seras inquiété par personne. Il n’existe aucun contrôle dans nos villages. Chaque année plusieurs paysans se font gruger >>, constate amer, Metan Koné de Niakara.

Au total, l’Etat aura beau fait de réduire les taxes les annuler même si cela lui dit, si les paysans n’ont pas un minimum d’organisation en coopérative pour parler d’une seule voix, ils seront à la merci des acheteurs véreux. Les élus et les autorités administratives sont donc interpelés, (président du conseil régional, députés, maires, sénateurs, préfets et sous préfets, cadres…) doivent prendre leur bâton de pèlerin pour aller dans les patelins de la région pour sensibiliser, expliquer et montrer l’importance des coopératives aux producteurs. Toutefois, il faut saluer l’appel du maire de Tafiré, Coulibaly Soungalo dit Charles Sanga, qui a appelé récemment à dénoncer tout acheteur indélicat.

Gnakouri Tostao


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