Il y a dix ans, le soulèvement tunisien entraînait la chute de Ben Ali et le début de ce que l’on appela le printemps arabe. C’est l’immolation d’un vendeur ambulant, Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010, qui fut le déclencheur de la révolution tunisienne. Dans sa ville de Sidi Bouzid, dix ans après son geste fatal, comment vivent ces vendeurs ?
Le 17 décembre 2010, un jeune vendeur de fruits et légumes tunisien se voit confisquer sa marchandise par des policiers. Ce n’est pas la première fois : c’est celle de trop. Mohamed Bouazizi, 26 ans, s’immole par le feu devant la préfecture de Sidi Bouzid.
Mohamed Bouazizi était un jeune homme souriant, paisible, travailleur. « Un bon fils, un garçon très fier même s’il était très pauvre », selon sa mère. Il s’appelait Tarek en fait, mais sa famille utilisait le prénom Mohamed pour le distinguer d’un homonyme. Il grandit à Sidi Bouzid, ville agricole de 40 000 habitants, entouré de six frères et sœurs. Son père mourut lorsqu’il avait trois ans et sa mère se remaria avec son beau-frère, comme c’est souvent le cas dans les régions rurales du Maghreb.
Mohamed qui devint « l’homme de la famille ». A 14 ans, il alternait les cours et les boulots de maçonnerie. Mais avec huit autres bouches à nourrir, le jeune homme, qui rêvait de s’installer à Sfax, la deuxième ville du pays, n’avait pas les moyens de ses ambitions. Il savait que sa famille comptait sur ses seuls revenus et que faire de longues études n’était pas envisageable. Il quitta donc le lycée en terminale et s’inscrivit dans une association de jeunes chômeurs. On ne lui proposa aucun emploi. Alors, à 19 ans, comme beaucoup d’autres jeunes Tunisiens, il devint vendeur ambulant de fruits et légumes. Faute de mieux, faute d’autre chose.
Il était un travailleur clandestin, donc il n’a pas les moyens de verser des pots-de-vin pour obtenir l’autorisation de vendre sa marchandise. Alors, la police se servait régulièrement dans sa caisse, confisquait ses fruits, légumes et sa balance. Plutôt que de lui demander de se déplacer, elle lui a collé une amende. Mohamed Bouazizi serra les dents. Jusqu’à ce jour, le 17 décembre 2010.
C’était comme si le pauvre n’avait pas le droit de vivre »
« La veille, je lui avais déjà demandé de partir et il s’était exécuté, témoigne Fayda Hamdi dans Libération. Mais ce matin-là, il ne voulait rien entendre. Il était tellement en colère qu’il m’a crié dessus et tordu le doigt. Il a aussi voulu arracher les épaulettes de mon uniforme. » D’aucuns ont affirmé que la policière l’avait même giflé.
Humilié une fois de plus, Mohamed Bouazizi se rendit au siège du gouvernorat pour réclamer des explications. Pourquoi ne lui délivrait-t-on pas cette fichue autorisation ? Pourquoi l’empêchait-t-on de travailler ? « Ici, le pauvre n’avait pas le droit de vivre », avait-il confié, un mois auparavant, à sa sœur Leïla, rapporte Jeune Afrique.
Mais à la préfecture, personne ne daigna le recevoir. Il en expulsé manu militari. Quelque chose en Mohamed Bouazizi se brisa. Il s’asperge d’essence, craqua une allumette s’immole devant l’administration. Il meurt de ses blessures deux semaines plus tard, le 4 janvier 2011, dans un hôpital près de Tunis.
« Son acte est un geste de refus. Il a été frappé, insulté par cette femme, l’agent municipal, devant tout le monde. C’est ça qui l’a blessé. (…) C’est le refus de voir sa dignité bafouée qui l’a conduit à s’immoler. »
Un homme giflé par une femme en pleine rue représente une véritable humiliation en Tunisie, surtout dans le village rural qu’est Sidi Bouzid. Une scène impensable, estime son ancien supérieur hiérarchique dans Libération : « Elle n’aurait jamais pu gifler un homme dans la rue. Si elle avait fait ça, la foule l’aurait lynchée.
Bouazizi avait-il été réellement giflé ?
« Un militant interrogé par le quotidien confirme avoir « tout inventé moins d’une heure après [la] mort » de Mohamed Bouazizi. « Pour faire bouger ceux qui ne sont pas éduqués, on a inventé la claque de Fayda Hamdi. Ici, c’est une région rurale et traditionnelle, alors ça choque les gens », raconte Lamine al-Bouazizi. Cette rumeur de gifle a permeis aux opposants au régime de rallier un plus grand nombre de Tunisiens à leur cause. Car la police symbolisait la dictature du président Ben Ali, au pouvoir en Tunisie depuis vingt-trois ans. Et le suicide de son fils, explique encore Mannoubia Bouazizi, « impliquait un refus total de la dictature ». Cette claque, au fond, les Tunisiens la subissaient au quotidien. La gifle symbolise un système qui les ignore ou les réprime.
Conséquence, le printemps arabe
L’immolation de Mohamed Bouazizi n’était une première en Tunisie, mais sûrement celle de trop. La population en particulier les jeunes qualifiés, diplômés, ne trouvaient pas de travail. Le ras-le-bol s’était transformé en contestation et avit gagné tout le pays, jusqu’à atteindre même la capitale, le 27 décembre. Des milliers de gens assistent à l’enterrement de Mohamed Bouazizi, le 5 janvier, et défilent derrière son cercueil. Dans le monde arabe, des dizaines de jeunes suivront son « exemple » et s’immoleront après lui. Le 14, moins d’un mois après le suicide du jeune vendeur ambulant, le président Zine el-Abidine Ben Ali fuit le pays. Le régime tunisien s’effondre. C’est le début du printemps arabe qui gagne ensuite l’Egypte, la Libye, puis la Syrie.
Mais l’icône de la révolution tunisienne ne le reste pas longtemps. Six mois après l’immolation de Mohamed Bouazizi, son portrait, qui ornait la statue sur la place principale de Sidi Bouzid, a été décroché. Et sa famille, accusée de s’être enrichie après sa mort, a dû quitter la ville. « Tout le monde continue de rendre hommage à l’acte fondateur de Bouazizi, mais les militants politiques locaux commencent à en avoir assez du culte qui l’entoure, comme s’il avait fait la révolution à lui tout seul. »
Sources rfi et franceinfo.